Un rapport porté par Pascal Lamy propose d’« explorer » la modification du rayonnement solaire pour limiter le réchauffement climatique
L’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce présente à New York un rapport qui estime que la piste de la géo-ingénierie, très controversée, doit être considérée, tout en étant contrôlée.
By Arnaud Leparmentier | 14 September 2023
A 40 ans, Luke Iseman vit dans son mobil-home, quelque part dans l’Ouest américain. Au début de septembre, il était au rassemblement de Burning Man, dans le désert du Nevada, où des milliers de festivaliers se sont retrouvés embourbés à la suite de pluies torrentielles. Surtout, il lance des ballons gonflés à l’hélium contenant un peu de dioxyde de soufre en direction de la stratosphère, à plus de quinze kilomètres d’altitude, afin qu’ils y explosent et réfléchissent les rayons du soleil, comme le font les explosions volcaniques. L’éruption du volcan philippin Pinatubo en 1991 a, par exemple, refroidi la Terre d’un demi-degré les deux années suivantes.
Après avoir levé 1,2 million de dollars (environ 1,1 million d’euros), et lancé une trentaine de ballons, d’une masse d’environ 1,1 kilogramme, le fondateur et président-directeur général de l’entreprise Make Sunsets est devenu dans la presse internationale l’incarnation de la géo-ingénierie, un ensemble controversé de techniques visant à modifier de manière volontaire le climat de la Terre en vue d’atténuer le réchauffement climatique.
« Refroidir la Terre » est l’objectif du jeune homme, qui estime qu’expédier un gramme de dioxyde de soufre « efface les effets d’une tonne de CO2 pendant un an » – bien que ses ballons ne contiennent aucun instrument pour évaluer les effets de l’expérience. M. Iseman, qui vend des crédits carbone liés au refroidissement prétendument obtenu, peut mener ses activités librement : il doit simplement prévenir la fédération aérienne américaine de ses lancers de ballon et faire un rapport pour les Services atmosphériques et océaniques fédéraux (NOAA), « environ une fois par an ». « C’est plus simple que de rénover sa maison », confie-t-il.
Risques non maîtrisés
Le problème, selon lui, n’est pas le coût de la technique. Un rapport du Programme pour l’environnement des Nations unies publié en février déplore que « les coûts directs estimés du déploiement du management des radiations solaires, sans tenir compte des coûts des éventuels impacts négatifs, peuvent être des dizaines de milliards de dollars par an pour 1 °C de refroidissement ». Soit 0,1 % du PIB mondial. « C’est le meilleur retour sur investissement dont on puisse rêver », défend Luke Iseman. A titre de comparaison, la firme Occidental Petroleum prévoit d’investir 100 milliards de dollars dans la capture et le stockage du carbone en quinze ans.
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Il n’ignore pas, en revanche, les risques non maîtrisés (changement de circulation atmosphérique, donc du régime des précipitations, ciel plus blanc, réduction des rendements agricoles et de la couche d’ozone), ainsi que l’effet de « terminaison » : si les hommes réfléchissaient les rayons du soleil tout en continuant d’émettre du CO2, un arrêt brutal de la technique conduirait les températures à faire un bond cataclysmique. C’est ce qui se passe dans le roman de science-fiction Termination Shock (Harper & Collins, 2021), de Neal Stephenson, source d’inspiration de Luke Iseman, qui imagine des conflits géopolitiques destructeurs liés à l’emploi de cette technologie.
Après des décennies de recherche cantonnée à une poignée de scientifiques, la géo-ingénierie solaire connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. De nombreux projets de recherche sont en cours dans le monde, pour la plupart en laboratoire.
C’est dans ce contexte, et à la veille d’un sommet sur l’ambition climatique le 20 septembre à New York, que le Français Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, a présenté jeudi 14 septembre dans cette même ville un rapport sur « la réduction des risques du dépassement climatique » dans le cadre du forum de Paris sur la paix, organisme informel.
INFOGRAPHIE : LE MONDE
Le rapport, rédigé par treize personnalités (anciens responsables politiques, économiques, ou diplomatiques), part du principe que l’accord de Paris ne sera pas respecté. « La probabilité que le réchauffement climatique dépasse l’objectif de 1,5 °C de l’accord de Paris est alarmante et continue d’augmenter », écrivent les auteurs. Ils insistent sur la nécessité d’accélérer la réduction des gaz à effet de serre et les efforts pour s’adapter à la hausse des températures, se prononcent pour le développement de la capture et du stockage du carbone dans l’atmosphère et son stockage, et manière d’ouvrir la voie à la technique, pour « l’exploration » de la modification du rayonnement solaire.
Proposition d’un moratoire
Pascal Lamy dit avoir navigué entre « les scientifiques qui estiment qu’il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore [de la modification du rayonnement solaire] car sinon ce sera le Docteur Folamour, et que si on fait avancer la science, ce sera comme avec la bombe atomique, on s’en servira », et ceux qui pensent qu’il faut évaluer le rapport risque/efficacité.
Le rapport propose que les pays « adoptent un moratoire sur le déploiement de la modification du rayonnement solaire et sur les expériences extérieures à grande échelle qui comporteraient un risque de dommages transfrontaliers importants », sur la base d’engagements unilatéraux, pays par pays. Les essais à plus petite échelle ne seraient pas concernés, mais les pays sont invités à adopter des régulations locales.
Les promoteurs de ce rapport recommandent dans le même temps la poursuite de la recherche scientifique, dans un cadre transparent et non tourné vers le profit. « La recherche ne devrait pas être dirigée par des entreprises à but lucratif et ne devrait pas être financée par des protagonistes ayant intérêt à maintenir les émissions de gaz à effet de serre, comme les opérateurs dans les énergies fossiles », écrivent les auteurs. Une évaluation internationale et indépendante de l’état de la science devrait avoir lieu régulièrement. Les pays du Sud, moins développés et plus exposés au réchauffement, devraient y être associés. Les auteurs préconisent enfin de mener « de vastes consultations et dialogues » sur le sujet, vu les préoccupations soulevées par cette technologie et les « sérieux défis de gouvernance » posés.
Le rapport n’était pas paru qu’il était déjà vivement critiqué. « Il présente l’élimination du carbone et la géo-ingénierie solaire comme des stratégies clés pour lutter contre les dépassements de température alors qu’il s’agit en fait de technologies hautement spéculatives et de fausses solutions à la crise climatique », estime Lili Fuhr, directerice à l’ONG Ciel (Center for International Environmental Law).
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