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LE TEMPS: Pascal Lamy: «Nous avons le devoir moral de nous adapter à un réchauffement climatique...»

Le président de la Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement estime que la planète doit procéder à des adaptations pour atténuer les effets d’événements climatiques extrêmes


By Stéphane Bussard, 14 March 2023



Depuis plusieurs années, dans un combat homérique pour contrer les mensonges par omission des majors du pétrole comme ExxonMobil qui savaient l’impact environnemental de leurs activités, les hérauts de la lutte contre le changement climatique ont misé sur la neutralité carbone à atteindre à tout prix au plus tard en 2050. Les Accords de Paris conclus lors de la COP21 en 2015 ont concrétisé ses aspirations, exhortant les Etats à réduire massivement leurs émissions de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius depuis l’ère préindustrielle.


Dans ce contexte, un organisme encore peu connu, la «Overshoot Commission», détonne. Sous son appellation française, la Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement, poursuit une mission que certains qualifieront d’hérésie. Elle part du principe que les Etats ne seront pas capables dans l’immédiat d’atteindre les objectifs des Accords de Paris et qu’il faudra prendre des mesures concrètes comme rénover et renforcer les constructions afin de se protéger d’événements climatiques extrêmes.


Pascal Lamy, ex-directeur général de l’OMC et actuel patron du Forum de Paris sur la paix, préside cet organe indépendant formé de dirigeants internationaux. Il était à Genève la semaine dernière avec Kim Campbell, ex-première ministre canadienne, pour parler des objectifs de cette nouvelle commission créée en mai 2022. Ils en expliquent au Temps le sens et les enjeux.


Penser l’impensable


«Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat l’a révélé à plusieurs reprises. Un dépassement de la limite de 1,5 degré Celsius du réchauffement est très probable. Il faut prendre conscience de cette réalité scientifique, explique Pascal Lamy. Oui, la limite de 1,5 degré était une victoire de dernière minute à la COP21 de Paris en 2015. Maintenant, son probable dépassement doit nous pousser à prendre les mesures d’adaptation nécessaires au vu de l’impact qu’un tel réchauffement peut avoir.» De tels propos ont déjà fait bondir certains experts du climat qui pensent que la priorité absolue, c’est la neutralité carbone et l’atteinte des objectifs de Paris. Pascal Lamy y répond avec aisance: «Ce n’est pas du défaitisme, c’est du pragmatisme, un devoir moral.»


Egalement membre de la commission, Kim Campbell, ex-secrétaire générale du Club de Madrid, enfonce le clou: «Le physicien Herman Kahn avait écrit un livre intitulé Penser l’impensable à propos d’une possible guerre nucléaire. A la Overshoot Commission, on préfère anticiper et imaginer l’impensable et atténuer les effets du réchauffement. «Pour l’heure, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Il faut prendre des mesures d’adaptation», dit-elle. Il en va de la santé de l’économie mondiale. Des événements climatiques violents peuvent avoir un impact économique dévastateur. «Mais, tient à préciser Kim Campbell, en publiant notre futur rapport, nous espérons motiver encore davantage l’opinion et les politiques à redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs de Paris et à aller même plus loin, à extraire du CO2 de l’atmosphère même si nous n’avons pas encore la technologie pour le faire.»


Pascal Lamy l’admet: la nécessité de procéder à des adaptations pour atténuer les effets du changement climatique a longtemps été vivement critiquée, notamment dans l’hémisphère nord «où la priorité absolue a toujours été de réduire les émissions de CO2. A ses yeux toutefois, c’est un impératif, notamment en raison de la «migration climatique qui va être massive et qui risque de provoquer des tensions susceptibles de saper la paix». En ce sens, il en est persuadé: «Il faudra s’intéresser davantage à la capture de CO2 et à son stockage. Il y a une totale unanimité à la Commission Overshoot pour dire que nous avons besoin de davantage de science. Personne ne dit qu’il ne faut pas y toucher de peur d’ouvrir la boîte de Pandore. Il va sans dire que les techniques de géo-ingénierie devront répondre au principe de précaution. Et pour l’heure, il faut le reconnaître, il n’y a rien de très probant sur le marché.»


Nombre d’initiatives scientifiques visent pourtant à contribuer à réduire le réchauffement. C’est ce que tente de faire un chercheur de l’University College de Londres qui a libéré du dioxyde de soufre dans la stratosphère pour réfléchir une partie du rayonnement solaire. C’est aussi le cas du projet danois qui vient de commencer à stocker le dioxyde de carbone sous la mer du Nord. Kim Campbell estime que la science va continuer de jouer un rôle capital: «Dans le rapport que nous publierons, à la commission, nous comptons montrer que nous ne pouvons pas faire preuve de complaisance avec le climat. Car même si nous nous engageons à limiter le réchauffement à 1,5 degré, nous sommes conscients du fait que nous n’y arrivons pas pour l’instant.


Pourquoi? Une partie de la population a pu croire que les Accords de Paris allaient résoudre le problème climatique. Mais si Paris a été un succès, c’est parce que les accords ne comprennent pas de mécanismes contraignants forçant les Etats à agir. Les Etats décident par eux-mêmes s’ils souhaitent les appliquer ou non. Ce qui m’inquiète, poursuit l’ex-première ministre, c’est le greenwashing et le fait que certains acteurs cherchent à saper la science. C’est pourquoi nous avons besoin de mécanismes permettant d’exiger que ces acteurs rendent des comptes. Il importerait d’introduire dans la législation internationale le crime d’écocide.» Ce qui préoccupe aussi Kim Campbell, c’est le manque de cadre clair en matière de gouvernance dans toute la problématique climatique.


Financement des adaptations


Difficile de parler d’adaptation sans soulever la question de son financement. A Charm el-Cheikh, lors de la COP27, les pays développés, sous l’impulsion des Européens, ont finalement accepté d’inclure des compensations pour les pertes et préjudices subies par rapport au climat. Un fait essentiel quand on sait que 97% des personnes touchées par des événements extrêmes dans le monde le sont dans des pays en développement. Pascal Lamy se félicite que le tabou relatif aux pertes et dommages ait été brisé à la COP27.


Mais il le relève: «Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se tient à Paris en juin prochain, va aborder toute la question de l’adaptation et de son financement. Il est aussi question de revoir le mandat de la Banque mondiale, une perspective qui inquiète certains dirigeants africains qui me demandent: va-t-on abandonner le combat contre la pauvreté pour celui en faveur du climat? Dit cyniquement, l’interrogation est déstabilisante: qu’est-ce qui tue le plus, le climat ou la pauvreté?» La Overshoot Commission va présenter son rapport en août, peu avant le Sommet de Paris, le Sommet climatique de l’ONU, le Sommet des objectifs de développement durable, la COP28 et le G20 en Inde. Avec l’espoir de faire avancer les choses.


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